La libération des Loges, le 24 août 1944


Les Alliés ont débarqué en Normandie le 6 juin 1944. Les combats font rage pour libérer la Normandie et repousser l'ennemi vers l'Est.
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Les Parisiens se sont insurgés et sont maintenant dans une situation délicate vis-à-vis de l'occupant: ils ont un besoin urgent de soutien!
De son côté, Eisenhower n'est pas favorable à une libération immédiate de la capitale française: La marche vers l'Allemagne et une fin rapide de la guerre restent la préoccupation majeure des alliés. Cependant pour le Général de Gaulle, chef de la France Libre, la libération de Paris est au contraire absolument prioritaire, et par une unité Française. Charles de Gaulle est intimement convaincu que le seul moyen d'éviter une hégémonie américaine après la guerre est d'entrer dans Paris en qualité de chef de la France Libre, avec l'adhésion des Français. Pour le futur chef de l'Etat, c'est à cet instant que se dessine la France de demain. Il ne peut adhérer à l'opinion d'Eisenhower, qui est aussi celle de Roosevelt.
Partageant le souhait du Général de Gaulle, mais pour des raisons essentiellement patriotiques et symboliques, le Général Leclerc demande dès le 15 août 1944 au Général Patton (la Division Leclerc est alors rattachée à la 3ème Armée américaine) l'autorisation de marcher sur Paris. Si les généraux Bradley (commandant la 1ère Armée, il a été le principal artisan de la percée alliée en Normandie) et son adjoint Patton acquiescent, aucun ordre formel n'est donné à l'officier français.
Combattant dans la région d'Argentan, la division Leclerc est relevée le 19 aout 1944 par une unité anglaise: une occasion de convaincre ses supérieurs américains! Leclerc décide alors de se rendre à la rencontre du général Bradley, seul à pouvoir autoriser la marche de la 2ème DB sur Paris.
Le 22 août 1944, vers 10h30, Leclerc prend place à bord de son Piper et s'envole pour Laval. Bradley est malheureusement absent, mais la présence inattendue du commandant FFI Gallois (chef d'état-major de Rol Tanguy), le renseigne sur la gravité de la situation à Paris et le conforte dans sa décision.
Attente...
Finalement, à 19h15, Bradley atterrit enfin. "Leclerc, justement !..." lance t-il...

"C'est d'accord, foncez sur Paris"...

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Mais pour arriver sur Paris, les troupes françaises, équipées de matériel américain, doivent percer la ligne de résistance du sud de Paris, qui s'étale entre les lignes de crête de Chateaufort-Saclay au sud et la RN 186 (Versailles-Villacoublay-Petit Clamart) au nord, en se prolongeant vers Trappes à l'ouest, et vers Fresnes, Thiais et Créteil à l'est.
Tandis que le Groupement Tactique (G.T.) Dio et Billotte progresse en direction de la Porte d'Orléans par Monthléry, Longjumeau, Châtenay-malabry, le G.T. Langlade agit sur l'axe Châteaufort-Jouy-en-Josas, Villacoublay. C'est lui qui libèrera Les Loges et Jouy, le 24 août 1944.
Mais les opérations qui précèdent sont semées d’embûches :
Après un échange par les camions de ravitaillement de jerrycans vides contre des pleins dans la côte de Châteaufort, les véhicules débarquent sur le plateau: le contact est brutal, mitrailleuses et canons les accueillent, alors que le plafond trop bas interdit le soutien aérien...
Le sous-groupement Massu s'engage à fond sur Toussus-le-Noble appuyé par toute l'artillerie du groupement. Les canons allemands, 75 PAK et 88 ripostent. Deux Sherman flambent. Il y a des morts et des blessés.
En deuxième échelon le sous-groupement Mijonnet, en attente face au carrefour du Christ de Saclay fortement défendu, reçoit l'ordre de foncer sur Jouy! Articulés en deux échelons, trente chars et vingt half-tracks s'élancent à travers champs, crachant un feu d'enfer. La section Guignon atteint le passage à niveau de Jouy, tandis que le sous-groupement du Commandant Massu fonce vers Les Loges.

L'arrivée de la Division Leclerc aux Loges:

Des batteries allemandes attendaient les Alliés au rond-point de la Croix Blanche (un char est resté disloqué au niveau de la ferme Thierry).
Et il faut s'imaginer que la propriété de Chasseloup que l'on voit ici dans sa facture actuelle, et qui est aujourd'hui au centre du village, était alors en bordure du village!
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C'est ainsi que les chars Sherman, après avoir traversé les champs détrempés de betteraves puis de haricots, sont entrés directement dans la propriété de Chasseloup, et en sont ressortis par le portail, de la boue plein les chenilles, et des branches de haricots coincées dans les roulements!
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Les Logeois ont d'abord cru à l'arrivée de blindés allemands, et leur première réaction a été la peur… Quand ils se sont aperçus que c'était des alliés, et mieux, des Français, quel soulagement!
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Mais les Allemands avaient abandonné sur la place de l'église une chenillette (chargée de munitions), qui aurait pu être une menace sérieuse pour les troupes françaises: le Sherman a tiré dessus immédiatement mais heureusement un habitant des Loges, M. Le Maout, est sorti d'une maison avec un drapeau blanc pour signaler aux arrivants qu'il n'y avait plus d'Allemands dans le centre du village.
La chenillette chargée d'explosifs a mis longtemps à brûler, et a projeté des munitions dans toutes les directions pendant de longues heures...
Après les inévitables effets de liesse populaire, les troupes ne se sont pas éternisées, car ils espéraient bien atteindre Paris les premiers! Très vite les drapeaux français ont fleuri aux fenêtres, jusqu'à ce qu'une information fasse part d'une poche de résistance allemande... et les drapeaux ont tous disparu! Mais en fait l'information était fausse, aucun ennemi n'est revenu.
Alors les cloches se mirent à sonner, comme elles ne l'avaient pas fait depuis longtemps; elles se répondaient de village en village, un véritable air de fête!
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Ce sont essentiellement les enfants de cœur qui, accompagnés du curé, sonnaient les cloches: si fort que le joug de la cloche a sauté de son logement!
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Et pendant plusieurs années on n'a plus entendu de cloches des Loges... Le joug en question est d'ailleurs aujourd'hui exposé dans l'église:
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Le cadran de l'horloge a aussi été victime de la guerre, aiguilles cassées... et pendant longtemps il a fallu estimer l'heure en lisant les moignons d'aiguille!
Mais revenons aux combats: quelques chars sont restés Grande Rue, et toute la nuit des échanges de feux ont eu lieu entre la Boulie et les Loges, en tirs tendus au-dessus de la vallée: de nombreux obus arrivant en trajectoire quasi horizontale ricochaient sans exploser! C'est ainsi qu'on en a retrouvé un certain nombre dans les pépinières...
Le reste des troupes, arrivé au passage à niveau de Jouy s’est séparé afin de se retrouver sur la RN186, la section Guigon par Petit Jouy vers Pont Colbert, la section Maret vers le Petit Robinson par la route de l'Homme mort.
Donc l'attelage Guigon-Miscault est reparti vers Petit Jouy, où le tonnerre de ses chars est amplifié par l'étroitesse de la rue. Pas une âme en vue. L'ennemi continue à tirailler en se repliant.
A l'approche du pont de la voie ferrée, des silhouettes se profilent sur le remblai: Guichard s'élance à l'assaut. Soudain, par derrière, des mitrailleuses se dévoilent dans les couverts dominant la voie sur la droite; les rafales tondent le ballast: les silhouettes étaient des pièges. Guichard et deux autres tombent. Mais un caporal, surnommé Ramuntco Duc, met hors de combat à la mitraillette et à la grenade les servants des mitrailleuses allemandes. Le Petit Jouy est libéré.
Guigon et Miscaut poursuivent: l'objectif, c'est le pont de Sèvres et Paris!
Et les chars montent la grande côte vers Pont-Colbert quand soudain un canon de 88 allemand surprend les soldats français: le "Gascogne" flambe: à l'intérieur, Jacques Lesieur, Jean Viricel et Francis Pélissier sont tués...
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Plaque déposée à Petit Jouy sur une maison qui devait être démolie: l'UNC a obtenu de la Mairie des Loges de la transférer au monument aux morts.
Le char suivant n'échappe à la destruction qu'en plongeant dans le fossé de la voie ferrée où il s'immobilise, chenilles cassées.
Le canon allemand est neutralisé et la route paraît libre, mais Guigon reçoit l'ordre de retourner à Jouy, et de rejoindre le reste du sous-groupement qui, lui aussi sera victime d'attaques ennemies lors de la montée de l'Homme mort, avec de nombreuses pertes humaines lors de sa montée vers la RN 186. Cet objectif stratégique sera atteint dans l'après-midi,
et Paris...libéré!
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La vie aux Loges sous l'occupation

Les Allemands qui vivent aux Loges sont des aviateurs qui travaillent à Buc ou à Toussus, et qui reviennent éreintés de leurs journées ou de leurs nuits de travail. Ils ne sont pas agressifs. Ils habitent dans 6 ou 8 baraquements de 180m² construits pour eux en 1942 par l'organisation Todt. Les relations sont très réduites entre les occupants et les occupés.
Le fait le plus marquant est le rationnement! Il n'y a pas assez à manger, et les enfants y sont particulièrement sensibles. Chez les Le Coz, pour y remédier, on élève des lapins. Mais 40 lapins, ça mange autant qu'une vache! et il faut leur trouver cette nourriture; et puis ne manger comme viande que du lapin pendant plusieurs années, ça vous dégoûte définitivement de la bête à longues oreilles!!
Un autre souvenir est le nombre important de bombardements et donc d'alertes. En effet autour des Loges il y avait certes l'aérodrome de Buc, mais aussi ceux de Villacoublay, Guyancourt, St Cyr, Toussus, et les gares de Jouy, Chantiers, Trappes, Palaiseau: que des bonnes raisons de lâcher des bombes!
Le bombardement était surnommé le "chemin de fer" par les enfants, du fait du bruit de chute des bombes - qu'on ne voyait pas, contrairement aux réservoirs supplémentaires que les avions larguaient aussi parfois.
Ce qui rassure les enfants (et sans doute aussi les adultes), c'est que, lors des alertes aériennes fréquentes, les Allemands courent encore plus vite que les Logeois pour se mettre à l'abri!

Bombardement du 15 juin 1944

De 1940 à 1944, le terrain d'aviation de Buc est utilisé par les Allemands, essentiellement pour des missions de reconnaissance lointaine, avec des bimoteurs DORNIER DO17. C'est évidemment une des cibles de l'aviation alliée, qui visera le terrain à de nombreuses reprises, occasionnant des alertes aériennes qui obligeaient les habitants des Loges à trouver rapidement un abri sûr. Le 15 juin 1944, malgré la mise à l'abri, 6 personnes trouveront la mort lors du bombardement allié et parmi eux deux jeunes élèves de l'école communale des Loges, André Le Coz (frère d’Yvon et Robert) et Paul Baudart, 9 ans tous les deux:
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Les autres victimes de ce jour-là sont
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  • Hélène BAUDART, la mère de Paul, alors que M. Baudart est lui-même prisonnier: il n'apprendra la nouvelle qu'à son retour de captivité...
  • Camille GRANIL, un Italien, commis de ferme (deux bombes de 500 kg sont tombées sur la ferme Baudart),
  • Eusèbe et son fils André VINCENT, de la ferme des Haies, dans la sente de la Fontaine.
Anecdote: au début de l'occupation, le jeune Yvon Le Coz est appelé un jour par un officier allemand, qui fait partie du premier contingent arrivé aux Loges.
Comme, à l'école, les Allemands sont stigmatisés, et que des bruits terribles courent sur eux: ils tuent les enfants, ils coupent les mains, abattent les arbres fruitiers..., il veut s'enfuir. Mais un autre Allemand le rattrape par le bras et lui dit: "n'aie pas peur, il a un enfant de ton âge". Alors Yvon y va, très inquiet et se retrouve sur les genoux de cet homme, fortement ému, et qui ne lui veut aucun mal...
Un personnage a marqué les Logeois, surtout les enfants, qui étaient volontairement un peu insolents avec les occupants: l'Oberfeldweber BRILATUS. C'était l'adjudant de compagnie, grande gueule, parfois un peu aviné, la terreur des soldats allemands! On le voyait passer en revue les militaires: pied droit, pied gauche: celui à qui il manquait un clou se retrouvait avec un sac de 20 kg sur le dos à tourner autour du campement!
Un jour qu'il allait sans doute chasser le lapin au Saut du loup, il s'est pris le pied dans un collet, s'est égratigné aux ronces et est revenu furieux au village en criant "terroristes!" Plus un enfant ne montrait alors le bout de son nez...

Après la guerre, du point de vue des enfants

Les enfants ont vécu des choses terribles, ont vu des parents disparaître, les bombardements, etc... Et beaucoup d'armes: les armes font partie de leur quotidien. C'est ainsi qu'après le départ des troupes alliées, qui avaient fait le ménage et s'étaient débarrassé des stocks d'armes allemandes retrouvées un peu partout: ils avaient "démilitarisé" les armes (par exemple en dissociant le fusil et le percuteur), et jeté le tout dans "la gadoue", un ancien étang asséché et à moitié comblé.
Il ne fallut pas longtemps aux enfants du village pour trouver cette mine, puis pour savoir reconstituer une arme... Posséder une arme de récupération était alors chose courante. Heureusement très vite les armes ont été récupérées par les gendarmes!
Mais il y avait aussi les obus, les grenades, les Panzerfaust, etc... Et nos gamins avaient bien compris qu'en récupérant la poudre, on pouvait faire des tas de choses avec! Tels les bateaux à réaction ou les boîtes de lait percées de deux trous et remplies de poudre qui s'élevaient en une trajectoire erratique dans un bruit d'enfer et un nuage de fumée!
Un jour ils eurent l'idée de mettre un Panzerfaust dans un feu, et s'étaient éloignés pour voir le résultat. (On se rappelle que, le 18 août 1944, la caserne Borgnis-Desbordes à Versailles avait été pulvérisée par un Panzerfaust suite à une erreur de manipulation, causant la mort de 120 soldats allemands) quand soudain un chasseur et son chien s'approchent du feu et viennent s'y réchauffer... Hurlements des enfants, les chasseurs s'éloignent, le pire est évité!!
Finalement pendant ces années d'après-guerre où traînaient tant d'armes et de munitions, aucun accident n'aura été à signaler parmi les enfants des Loges.
La classe de l’école communale des Loges en 1941
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